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Son front était unique en son espèce, à l’égard de la forme et de l’éclat ; sa blancheur était relevée par une pointe que formaient des cheveux plus noirs et plus brillants que du jais, ce qui lui avait fait donner le nom de Luisante : le tour de son visage semblait fait pour l’assemblage de tant de merveilles ; mais ses yeux gâtaient tout.

Personne n’avait pu les regarder assez longtemps pour en démêler la couleur ; car, dès qu’on rencontrait ses regards, on croyait être frappé d’un éclair.

À l’âge de huit ans, le calife, son père, avait coutume de la faire venir pour se mirer dans son ouvrage, et pour faire dire mille pauvretés à ses courtisans sur ses jeunes attraits ; car dès lors on éteignait les bougies au milieu de la nuit, et il ne fallait point d’autre lumière que celle de ses petits yeux. Mais tout cela n’était, comme on dit, que jeux d’enfants : ce fut quand ces yeux eurent pris toute leur force qu’il n’y eut plus de raillerie auprès d’elle.

La florissante jeunesse de la cour y périssait misérablement ; et l’on portait chaque jour en terre deux ou trois de ces petits-maîtres qui s’imaginent qu’il n’y a qu’à lorgner quand on trouve de beaux yeux ; ainsi, quand c’étaient des hommes qui la regardaient, le feu passait subitement des yeux jusqu’au fond du cœur, et en moins de vingt-quatre heures ou mourait, prononçant tendrement son nom, et remerciant humblement ses beaux yeux de l’honneur qu’on avait de mourir de leurs coups.

À l’égard du beau sexe, il en allait autrement. Celles qui ne rencontraient ses regards que de loin en étaient quittes pour un éblouissement qui durait toute la vie : mais celles qui servaient auprès de sa personne payaient cet honneur