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sans doute éprouver mon cœur, mais soyez certaine qu’il n’est point capable de manquer à l’amitié et à la reconnaissance qu’il vous doit. — Non, fils de roi, continua-t-elle, je ne te soupçonne d’aucune ingratitude : je connais ton mérite ; ce n’est ni toi ni moi qui réglons dans cette affaire notre destinée. Fais ce que je souhaite, nous commencerons l’un et l’autre d’être heureux, et tu connaîtras, foi de chatte de bien et d’honneur, que je suis véritablement ton amie. »

Les larmes vinrent deux ou trois fois aux yeux du jeune prince, de la seule pensée qu’il fallait couper la tête à sa petite chatonne, qui était si jolie et si gracieuse. Il dit encore tout ce qu’il put imaginer de plus tendre pour qu’elle l’en dispensât ; elle répondait opiniâtrement qu’elle voulait mourir de sa main, et que c’était l’unique moyen d’empêcher que ses frères n’eussent la couronne ; en un mot, elle le pressa avec tant d’ardeur, qu’il tira son épée en tremblant, et, d’une main mal assurée, il coupa la tête et la queue de sa bonne amie la chatte. En même temps il vit la plus charmante métamorphose qui se puisse imaginer : le corps de la chatte blanche devint grand, et se changea tout d’un coup en fille ; c’est ce qui ne saurait être décrit, il n’y a eu que celle-là aussi accomplie. Ses yeux ravissaient les cœurs, et sa douceur les retenait ; sa taille était majestueuse, l’air noble et modeste, un esprit liant, des manières engageantes : enfin elle était au-dessus de tout qu’il y a de plus aimable.

Le prince, en la voyant, demeura si surpris, et d’une surprise si agréable, qu’il se crut enchanté. Il ne pouvait parler, ses yeux n’étaient pas assez grands pour la regarder, et sa langue liée ne pouvait expliquer son étonnement ; mais