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n’ayant plus assez de force pour fuir, elle se laissa tomber.

Amour cruel et barbare, où étais-tu donc ? Quoi ! tu laisses blesser une fille incomparable par son tendre amant ? Cette triste catastrophe était inévitable, car la fée de la fontaine y avait attaché la fin de l’aventure. Ce prince s’approcha ; il eut un sensible regret de voir couler le sang de la biche : il prit des herbes, il les lia sur sa jambe pour la soulager, et lui fit un nouveau lit de ramée. Il tenait la tête de Bichette appuyée sur ses genoux, « N’es-tu pas cause, petite volage, lui disait-il, de ce qui t’est arrivé ? Que t’avais-je fait hier pour m’abandonner ? Il n’en sera pas aujourd’hui de même, je t’emporterai. » La biche ne répondit rien : qu’aurait-elle dit ? Elle avait tort et ne pouvait parler : car ce n’est pas toujours une conséquence que ceux qui ont tort se taisent. Le prince lui faisait mille caresses, « Que je souffre de t’avoir blessée ! lui disait-il : tu me haïras, et je veux que tu m’aimes. » Il semblait, à l’entendre, qu’un secret génie lui inspirait tout ce qu’il disait à Bichette. Enfin l’heure de revenir chez sa vieille hôtesse approchait : il se chargea de sa chasse, et n’était pas médiocrement embarrassé à la porter, à la mener, et quelquefois à la traîner. Elle n’avait pas envie d’aller avec lui. « Qu’est-ce que je vais devenir ? disait-elle. Quoi ! je me trouverai toute seule avec ce prince ! Ah ! mourons plutôt. » Elle faisait la pesante et l’accablait, il était tout en eau de tant de fatigue ; et, quoiqu’il n’y eût pas loin pour se rendre à la petite maison, il sentait bien que sans quelque secours il n’y pourrait arriver. Il fut quérir son fidèle Becafigue ; mais, avant que de quitter sa proie, il l’attacha avec plusieurs rubans au pied d’un arbre, dans la crainte qu’elle ne s’enfuit.