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la connaissait : car enfin il était fort singulier qu’une biche s’avisât de faire si bien les honneurs de la forêt.

Elle la regarda attentivement, et vit, avec une extrême surprise, de grosses larmes qui coulaient de ses yeux : elle ne douta plus que ce ne fût sa chère princesse. Elle prit ses pieds, elle les baisa avec autant de respect et de tendresse qu’elle avait baisé ses mains. Elle lui parla, et connut que la biche l’entendait, mais qu’elle ne pouvait lui répondre ; les larmes et les soupirs redoublèrent de part et d’autre. Giroflée promit à sa maîtresse qu’elle ne la quitterait point ; la biche lui fit mille petits signes de la tête et des yeux, qui marquaient qu’elle en serait très aise et qu’elle la consolerait d’une partie de ses peines.

Elles étaient demeurées presque tout le jour ensemble. Bichette eut peur que sa fidèle Giroflée n’eût besoin de manger ; elle la conduisit dans un endroit de la forêt où elle avait remarqué des fruits sauvages, qui ne laissaient pas d’être bons. Elle en prit quantité, car elle mourait de faim ; mais, après que sa collation fut finie, elle tomba dans une grande inquiétude, ne sachant où elles se retireraient pour dormir : car de rester au milieu de la forêt, exposées à tous les périls qu’elles pouvaient courir, il n’était pas possible de s’y résoudre. « N’êtes-vous point effrayée, charmante biche, lui dit-elle, de passer la nuit ici ? » La biche leva les yeux vers le ciel, et soupira, « Mais, continua Giroflée, vous avez déjà parcouru une partie de cette vaste solitude : n’y a-t-il point de maisonnette, un charbonnier, un bûcheron, un ermitage ? » La biche marqua, par les mouvements de sa tête, qu’elle n’avait rien vu. « Ô dieux ! s’écria Giroflée, je ne serai pas en vie demain : quand j’aurais