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cieuse, ingénieuse, ourdissant des trames aériennes ou brodant un canevas de fleurs célestes ; tantôt grande, maigre, sèche, ridée, jalouse, mécontente, menaçante, brandissant comme un bâton la baguette du mauvais sort sur ceux qui ont encouru sa disgrâce.

C’est dans ce double sens qu’on dit proverbialement ; grâce de fée, ouvrage de fée ; et vieille fée, méchante fée, pour exprimer la laideur et la malice dans ce qu’elles ont de plus odieux ou de plus ridicule. C’est dans ce dernier sens que Saint-Simon écrivait : « La femme de Montchevreuil était une grande créature à qui il ne manquait que la baguette pour être une parfaite fée. » C’est à ce genre de fées malignes, malfaisantes, à la vieillesse ennemie de toute jeunesse, à la laideur ennemie de toute beauté, dont il ne faisait pas bon attirer sur soi le regard louche et l’ire implacable, que le satirique Régnier faisait allusion, quand il écrivait :

De peur, comme l’on dit, de courroucer les fées.

Ce pouvoir surnaturel, fatidique, féerique, n’était pas seulement un attribut des personnes ; ce pouvait cire aussi, toujours suivant la tradition populaire, une propriété des choses. (Il y avait des lieux hantés, enchantés, des châteaux fées, comme celui de Lusignan ; des forêts fées, comme celle de Brocéliande ; des pierres fées, des escaliers fées ; des chevaux fées, comme Bayard, le cheval de Renaud ; des épées fées, comme celle de Lancelot du Lac ; des clefs fées, comme la clef de Barbe-Bleue ; des bottes fées, comme celles de l’ogre dans le Petit Poucet des masses fées, comme la masse de Loup-Garou, dans Pantagruel. Ainsi encore sont enchantés, sont faés, fées, comme le remarque le commentateur de Perrault dans l’édition Hetzel « les bottes du dieu Locki dans les légendes de l’ancienne Scandinavie ; ainsi encore le tapis enchanté dont le prince Ahmed fait l’acquisition dans les Mille et une Nuits, le fauteuil du dieu Dharmaratja, le talisman de Salomon et le chapeau de Fortunatus, tous objets qui permettent de franchir des distances prodigieuses, »

Après avoir parcouru ainsi rapidement et superficiellement les diverses acceptions du mot fée, et fait résonner chaque touche du clavier, chaque note de cette gamme de significations successives.