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homme Robin (après avoir imposé silence), commençait le conte de la Cigogne, du temps que les bestes partaient, ou comme le Renard desroboit le poisson aux poissonniers ; comme il fit battre le Loup aux Lavandières lorsqu’il l’apprenoit à pescher ; comme le chien et le chat allaient bien loing du Lyon, roi des bestes, qui fist l’asne son lieutenant, et voulut estre roy de tout ; de la Corneille qui, en chantant, perdit son fromage : de Mélusine ; du Loup-Garou, du Cuir d’Asnette, du Moyne bourré ; des fées et que souventes fois partait à elles familièrement, mesme la vesprée passant par le chemin creux, et qu’il les voyoit danser au bransle prés la fontaine du Cormier, au son d’une belle vèze couverte de cuir rouge, celui estoit advis car il avoit la veue courte, pour ce que depuys que Vichot l’avoit abattu de coups de trenche par les fesses, les yeux luy avoient toujours pleuré ; mais que voulez-vous ? nous ne nous départons les fortunes. Disoit (en continuant) que en charriant le venoient voir, affermant qu’elles sont bonnes commères et volontiers leur eust dit le petit mot de gueule, s’il eust bien osé, ne se déffiant point qu’elles ne lui eussent joué un bon tour. Aussi, que, un jour les espia, lorsqu’elles se retiraient en leurs caverneux rocs, et que, soudain qu’elles approchoient d’une petite motte, s’esvanouissoient ; dont s’en retournoit, disoit-il, aussi sot comme il estoit venu[1]. »

Nous prenons sur le fait, dans ce tableau d’après nature, la prédilection superstitieuse de l’imagination populaire pour le merveilleux, le fantastique ; merveilleux à sa portée, fantastique au décor grossièrement brossé dont les bêtes qui parlent et les fées de la fontaine voisine font le plus souvent les frais, et que met en scène un récit naïf et goguenard, dont la lourdeur laisse éclater parfois, comme le feu de moites et de bourrées autour duquel ou se chauffe en devisant et en humant le piot, une étincelle du génie gaulois. Nous retrouvons, dans ce répertoire de la veillée agreste en Bretagne sous François Ier, plusieurs des personnages des fables et des contes de la Fontaine, des contes de Perrault, et notamment la Corneille qui laisse échapper son fromage, et Cuir d’Asnette, c’est-à-dire Peau d’Ane.

Surtout, à côté du Moyne bourré ou velu, légende bretonne et berrichonne, nous voyons apparaître, dans les souvenirs du conteur rustique, cette mystérieuse et fugitive troupe des fées familières, menant leur branle autour de la fontaine de Saint-Aubin le Cormier, bonnes commères, dit Robin, qui ne s’effarouchent pas du

  1. Œuvres facétieuses de Noël du Fail, etc., édit. Assézat, t. I, p. 42.