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grossier ; il eût haussé les épaules à ces paysanneries de Perrault. Beaumarchais détonne dans la pastorale comme un courtisan de l’Œil-de-Bœuf au village ; et malgré tout son esprit, il n’a jamais pu atteindre au naïf. C’est bien simple, en apparence, mais cela lui est défendu, aussi bien qu’à Voltaire ; et les gens de la veillée, le loustic en tête, perdraient leur patois à comprendre ce français bon pour les grands seigneurs philanthropes et les bourgeois frondeurs, pour les salons et pour les calés. C’est autre chose qu’il faut à l’imagination populaire et enfantine, à qui suffisent des drames comme celui du Petit Chaperon rouge, des imbroglios comme celui du Petit Poucet, et qui prend un plaisir extrême aux aventures de Peau d’Âne.

Ces drames faisaient pleurer, ces imbroglios faisaient rire les grand’mères, les mères, les nourrices, les mies, et les enfants bien avant Perrault. On peut, dire que le conte de fées est de toute antiquité, qu’il a amusé l’humanité dès son berceau, et que l’origine de ces récits traditionnels et légendaires se perd dans la nuit des temps. Nous analyserons soigneusement tout, à l’heure, pour les plus connus de ces types, les éléments d’origine, de formation, d’alliage ; mais il nous est impossible de ne pas clore ces premiers aperçus par le tableau qu’a tracé, avec, une plume digne du pinceau des Le Nain et des Valentin, Noël du Fail, sieur de la Hérissaye, d’une veillée au seizième siècle, en Bretagne, dans le pays fatidique par excellence, dans le pays de Merlin l’enchanteur, de la fée Viviane, et de la forêt de Brocéliande, pleine de mystères.

Écoutons le gentilhomme lettré, le malin conseiller au parlement de Rennes, et considérons son tableau, d’une couleur si vive et si franche, d’une veillée chez Robin le Clerc, compagnon charpentier de la « grand’dolouère », en 1517, l’année de la mort de François Ier :

« … Voluntiers, après souper, le ventre tendu comme un tabourin, saôul comme Patault, jazoit, le dos tourné au feu, teillant bien mignonnement du chanvre, ou raccoustrant à la mode qui courait ses botes… chantant, comme il le sçavaït faire, quelque chanson nouvelle, Jeanne sa femme, de l’austre costé qui filoit, lui respondoit de mesme ; le reste de la famille ouvrant chacun en son office : les uns adoubant les courroyes de leurs fléaux, les autres faisant dents à râteaux ; bruslant hars pour lier, possible, l’aixeul de la charrette rompu par trop grand fais, ou faisant une verge île fouet de néflier ou meslier. Et ainsi occupés à diverses besongnes, le bon-