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ressources de la fortune et du pouvoir, ils fatiguent les ministres de leurs plaisirs, sans parvenir à rassasier leur soif de nouveauté, leur appétit d’idéal, d’autant plus exigeants qu’ils sont plus excités par cette chaleur de bien-être, cette intensité de vie, par cette fièvre de curiosité qui les consume, Ce sont les grands que dévore l’insomnie de la vanité ou de l’ambition, toujours mécontents lors même qu’ils semblent devoir être le plus satisfaits, et qui s’agitent et se retournent sur leur lit de duvet ; ce sont les sybarites qu’un pli de rose offusque ; ce sont ceux qui peuvent le plus, qui sentent le plus ce qu’ils ne peuvent point et qui s’indignent de la borne mise à leur portée ; ce sont ceux qui ont goûté de tout, qui sont las de tout ; ce sont ceux à qui la réalité devrait suffire, tant elle les gâte, qui s’indignent le plus du frein, qui regimbent le plus contre les barrières derrière lesquelles l’infini leur échappe, qui aspirent le plus ardemment aux plaisirs de la fiction, aux consolations du rêve. Tout rassasié est un affamé. Tout Salomon attend sa princesse Balkiss, sa reine de Saba.

Mais si ce dédommagement, cette réparation, cette revanche de la vie idéale, de la vie du songe, de la vie telle qu’on la voudrait, qui console de la vie telle qu’elle est, sont un besoin, même pour les puissants, les grands, les riches, à combien plus forte raison le sont-ils pour les pauvres, les humbles, les simples, les déshérités, les sacrifiés de ce monde ! À ceux-là, à ces disgraciés de la terre, il reste, pour les dédommager, pour les consoler, pour les venger, les délices du royaume des cieux. Ce royaume des cieux leur appartient, en effet, dans le double sens du mot, le profane et le sacré. L’Évangile le promet à leur foi candide ; la féerie l’ouvre à leur imagination ingénue

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que l’origine des contes de fées soit aussi populaire qu’antique, et que ce caractère démocratique, rustique, patriarcal, soit comme le sceau naïf de ces traditions et de ces légendes sorties du peuple, faites pour le peuple, qui est toujours enfant, pour l’enfant, qui est toujours peuple. Malgré les enjolivements dont elles furent l’objet, quand une fantaisie de la mode, un caprice du goût, les introduisirent à la cour, er qu’elles furent façonnées au tour des Précieuses, elles gardent la fruste empreinte du coup de pouce calleux qui le premier, donna figure à leur argile, et l’indélébile parfum de la terre agreste.