Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui vit que c’était une chose faite, dissimula le chagrin qu’elle eut de cette imprudence.

Cependant la nouvelle officière des princesses fit cent tours dans le château, sous prétexte de leur service, mais en effet pour observer la disposition du dedans ; car, Madame, je ne sais si vous ne vous en doutez point déjà, mais cette gueuse prétendue était aussi dangereuse dans le château que le fut le comte Ory, dans le couvent où il entra, déguisé en abbesse fugitive.

Pour ne pas vous tenir davantage en suspens, je vous dirai que cette créature couverte de haillons était le fils aîné d’un roi puissant, voisin du père des princesses. Ce jeune prince, qui était un des plus artificieux esprits de son temps, gouvernait entièrement le roi son père, et il n’avait pas besoin de beaucoup de finesse pour cela ; car ce roi était d’un caractère si doux et si facile, qu’on lui avait donné le surnom de Moult-Bénin[1]. Pour le jeune prince, comme il n’agissait que par artifice et par détours, les peuples l’avaient surnommé Riche-en-Cautèle[2], et, pour abréger, on disait Riche-Cautèle. .

IL avait un frère cadet, qui était aussi rempli de belles qualités que son aîné l’était de défauts ; cependant, malgré la différence d’humeur, on voyait entre ces deux frères une union si parfaite, que tout le monde en était surpris. Outre les bonnes qualités de l’âme qu’avait le prince cadet, la beauté de son visage et la grâce de sa personne étaient si remarquables, qu’elles l’avaient fait nommer Bel-à-Voir. C’était le prince Riche-Cautèle qui avait inspiré à l’ambassadeur

  1. Beaucoup bénin, débonnaire.
  2. Riche en fourberie.