Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chose presse beaucoup, il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieues que voilà, pour faire diligence, et aussi afin que vous ne croyiez pas que je sois un affronteur. »

La bonne femme, fort effrayée, lui donna aussitôt tout ce qu’elle avait ; car cet Ogre ne laissait pas d’être fort bon mari, quoiqu’il mangeât les petits enfants. Le Petit-Poucet, étant chargé de toutes les richesses de l’Ogre, s’en revint au logis de son père, où il fut reçu avec bien de la joie.

Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d’accord sur cette dernière circonstance, et qui prétendent que le Petit-Poucet n’a jamais fait ce vol à l’Ogre ; qu’à la vérité il n’avait pas fait conscience de lui prendre ses bottes de sept lieues, parce qu’il ne s’en servait que pour courir après les petits enfants. Ces gens-là assurent le savoir de bonne part, et même pour avoir bu et mangé dans la maison du bûcheron. Ils assurent que, lorsque le Petit-Poucet eut chaussé les bottes de l’Ogre, il s’en alla à la cour, où il savait qu’on était fort en peine d’une armée qui était à deux cents lieues de là, et du succès d’une bataille qu’on avait donnée. Il alla, disent-ils, trouver le roi, et lui dit que, s’il le souhaitait, il lui rapporterait des nouvelles de l’armée avant la fin du jour. Le roi lui promit une grosse somme d’argent s’il en venait à bout. Le Petit-Poucet rapporta des nouvelles dès le soir même ; et cette première course l’ayant fait connaître, il gagnait tout ce qu’il voulait : car le roi le payait parfaitement pour porter ses ordres à l’armée, et une infinité de dames lui donnaient tout ce qu’il voulait, pour avoir des nouvelles de leurs amants, et ce fut là son plus grand gain.

Il se trouvait quelques femmes qui le chargeaient de lettres pour leurs maris ; mais elles le payaient si mal, et cela