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impossible à tracer car il y a transition insensible des anomalies légères aux anomalies graves.


Historique[1]. — Les anomalies, et particulièrement les monstruosités, furent d’abord interprétées comme des écarts, des bizarreries, des jeux de la nature, voire même comme des prodiges destinés à faire éclater la gloire de Dieu ou manifestant sa colère. On les considéra aussi comme l’œuvre du démon ou comme le produit d’accouplements contre nature entre mâles et femelles d’espèces plus ou moins dissemblables. Les femmes accouchant de monstres ont été maintes fois accusées et même condamnées pour commerce charnel avec le diable ou fornication avec quelque bête. C’est ainsi que les anciens recueils de tératologie, tels que le livre d’Ambroise-Paré, le De Monstris d’Aldrovande, le De Monstrorum de Licetus figurent des quadrupèdes à tête humaine, des hommes à tête d’animal, etc., et que le célèbre naturaliste Réaumur fait le récit des « étranges amours » d’une poule et d’un lapin et se demande sérieusement s’il doit en résulter « des poulets vêtus de poils ou des lapins couverts de plumes » ! Au commencement du XIXe siècle Chateaubriand considérait encore les monstruosités comme des faits complétement étrangers à l’ordre naturel et par conséquent à la science : « Les monstres, dit-il, ne sont que des êtres privés de quelques-unes de leurs causes finales ; ils nous font horreur, tant l’instinct de Dieu est fort chez les hommes, tant ils sont effrayés aussitôt qu’ils n’aperçoivent plus la marque de l’intelligence suprême… Dieu a sans doute permis ces productions de la nature pour nous apprendre ce que c’est que la création sans lui. C’est l’ombre qui fait ressortir la lumière. C’est un échantillon de ces lois de hasard qui, selon les athées, doivent avoir enfanté l’univers. »

Cependant quelques grands esprits de l’antiquité avaient posé la question sur son véritable terrain : « La monstruosité, écrit Aristote, n’est pas contre nature, mais contre ce qui se passe le plus ordinairement dans la nature. Rien ne se produit contrairement à la nature en tant qu’elle est éternelle et nécessaire ; cela n’arrive que dans les choses qui se produisent le plus ordinairementd’une certaine manière, mais qui pourraient se produire autrement. »

Plus tard Cicéron exprime la même idée en disant que « tout ce qui a naissance a nécessairement une cause naturelle, de telle sorte que

  1. Voy. L. Martin. Histoire des monstres depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Paris, 1880.