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à la pharmacie. Il prit une serviette, s’essuya sans dire un mot, et s’en alla bien résolu de me faire payer le dégraisseur, à qui sans doute il fut obligé d’envoyer son habit.

Il revint le lendemain matin vêtu plus modestement, quoiqu’il n’eût rien à risquer ce jour-là, m’apporter la médecine que le docteur avait ordonnée la veille. Outre que je me sentais mieux de moment en moment, j’avais tant d’aversion, depuis le jour précédent, pour les médecins et les apothicaires, que je maudissais jusqu’aux universités où ces messieurs reçoivent le pouvoir de tuer les hommes impunément. Dans cette disposition, je déclarai en jurant que je ne voulais plus de remèdes, et que je donnais au diable Hippocrate et sa séquelle. L’apothicaire, qui ne se souciait nullement de ce que je ferais de sa composition, pourvu qu’elle lui fût payée, la laissa sur la table, et se retira sans me dire une syllabe.

Je fis jeter sur-le-champ par les fenêtres cette chienne de médecine, contre laquelle je m’étais si fort prévenu, que j’aurais cru être empoisonné si je l’eusse avalée. À ce trait de désobéissance j’en ajoutai un autre ; je rompis le silence, et dis d’un ton ferme à ma garde que je prétendais absolument qu’elle m’apprît des nouvelles de mon maître. La vieille, qui appréhendait d’exciter en moi une émotion dangereuse en me satisfaisant, ou qui peut-être aussi ne m’obstinait que pour irriter mon mal, hésitait à me parler ; mais je la pressai si vivement de m’obéir, qu’elle me répondit enfin : Seigneur cavalier, vous n’avez plus d’autre maître que vous-même, Le comte Galiano s’en est retourné en Sicile.

Je ne pouvais croire ce que j’entendais ; il n’y avait pourtant rien de plus véritable. Ce seigneur, dès le second jour de ma maladie, craignant que je ne mourusse chez lui, avait eu la bonté de me faire transporter avec mes petits effets dans une chambre garnie, où il m’avait abandonné sans façon à la Providence et aux