Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comte. Si vous doutez de mon rapport, ajouta le marmiton, donnez-vous la peine de vous trouver demain matin sur les sept heures auprès du collège de Saint-Thomas, vous me verrez chargé d’une hotte qui changera votre doute en certitude. Tu es donc, lui dis-je, commissionnaire de ces galants pourvoyeurs ? Je suis, répondit-il, employé par le maître d’hôtel, et un de mes camarades fait les messages de l’intendant.

Ce rapport me parut valoir la peine d’être vérifié. J’eus la curiosité le lendemain de me rendre à l’heure marquée auprès du collège de Saint-Thomas. Je n’attendis pas longtemps mon espion. Je le vis bientôt arriver avec une grande hotte toute pleine de viande de boucherie, de volailles et de gibier. Je fis l’inventaire des pièces, et j’en dressai sur mes tablettes un petit procès-verbal que j’allai montrer à mon maître, après avoir dit au fouille-au-pot qu’il pouvait, comme à son ordinaire, s’acquitter de sa commission.

Le seigneur sicilien, qui était fort vif de son naturel, voulut, dans son premier mouvement, chasser le Napolitain et le Messinois ; mais, après y avoir fait réflexion, il se contenta de se défaire du dernier dont il me donna la place. Ainsi ma charge de surintendant fut supprimée peu de temps après sa création, et franchement je n’y eus point de regret. Ce n’était, à proprement parler, qu’un emploi honorable d’espion, qu’un poste qui n’avait rien de solide, au lieu qu’en devenant M. l’intendant, je me voyais maître du coffre-fort, et c’est là le principal. C’est toujours ce domestique-là qui tient le premier rang dans une grande maison ; et il y a tant de petits bénéfices attachés à son administration, qu’il s’enrichirait infailliblement, quand même il serait honnête homme.

Mon Napolitain, qui n’était pas au bout de ses finesses, remarquant que j’avais un zèle brutal, et que je me mettais sur le pied de voir tous les matins les viandes qu’il achetait et d’en tenir registre, cessa d’en