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passaient à l’office, il s’en passait d’autres à la cuisine. Le cuisinier régalait aussi trois ou quatre bourgeois de sa connaissance qui n’épargnaient pas plus que nous le vin, qui se remplissaient l’estomac de pâtés de lapins et de perdrix. Il n’y avait pas jusqu’aux marmitons qui ne se donnassent au cœur joie de tout ce qu’ils pouvaient escamoter. Je me crus dans une maison abandonnée au pillage ; cependant ce n’était rien que cela. Je ne voyais que des bagatelles, en comparaison de ce que je ne voyais pas.


CHAPITRE XV

Des emplois que le comte Galiano donna dans sa maison à Gil Blas.


Je sortis pour aller chercher mes hardes, et les faire apporter à ma nouvelle demeure. Quand je revins, le comte était à table avec plusieurs seigneurs et le poète Nunez, lequel d’un air aisé se faisait servir et se mêlait à la conversation. Je remarquai même qu’il ne disait pas un mot qui ne fît plaisir à la compagnie. Vive l’esprit ! quand on en a, on fait bien tous les personnages qu’on veut.

Pour moi, je dînai avec les officiers qui furent traités, à peu de chose près, comme le patron. Après le repas, je me retirai dans ma chambre où je me mis à réfléchir sur ma condition. Hé bien ! me dis-je, Gil Blas, te voilà donc auprès d’un comte sicilien dont tu ne connais pas le caractère ! À juger sur les apparences, tu seras dans sa maison comme le poisson dans l’eau. Mais il ne faut jurer de rien, et tu dois te défier de ton étoile, dont tu n’as que trop souvent éprouvé la malignité. Outre cela, tu ignores à quoi il te destine. Il a des secrétaires et un intendant : quels services veut-il donc que tu lui rendes ? Apparemment qu’il a dessein de te faire