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Le seigneur de Chinchilla fit la grimace à ce discours. Il témoigna de la répugnance à se rendre complice d’une espièglerie, et encore plus à souffrir qu’une aventurière le déshonorât en se disant de sa famille. Il n’en était pas seulement blessé par rapport à lui ; il voyait, pour ainsi dire, là-dedans une ignominie rétroactive pour ses aïeux. Cette délicatesse parut hors de saison à Pédrille, qui en fut choqué. Vous moquez-vous, s’écria-t-il, de le prendre sur ce ton-là ? Voilà comme vous êtes faits, vous autres nobles à chaumière ! vous avez une vanité ridicule. Seigneur cavalier, poursuivit-il en m’adressant la parole, n’admirez-vous pas les scrupules qu’il se fait. Vive Dieu ! c’est bien à la cour qu’il y faut regarder de si près ! Sous quelque vilaine forme que la fortune s’y présente, on ne la laisse point échapper.

J’applaudis à ce que dit Pédrille ; et nous haranguâmes si bien tous deux le capitaine que nous le fîmes, malgré lui, devenir oncle de Sirena. Quand nous eûmes gagné cela sur son orgueil, ce qui ne nous fut pas aisé, nous nous mîmes tous trois à faire pour le ministre un nouveau placet, qui fut revu, augmenté et corrigé. Je l’écrivis ensuite proprement, et Pédrille le porta à l’Aragonaise, qui dès le soir même en chargea le seigneur don Rodrigue, à qui elle parla de façon que ce secrétaire, la croyant véritablement nièce du capitaine, promit de s’employer pour lui. Peu de jours après, nous vîmes l’effet de cette manœuvre. Pédrille revint à notre hôtel d’un air triomphant. Bonne nouvelle ! dit-il à Chinchilla. Le roi fera une distribution de commanderies de bénéfices et de pensions, où vous ne serez pas oublié ; c’est de quoi je suis chargé de vous assurer. Mais j’ai ordre de vous demander en même temps quel présent vous prétendez faire à Sirena. Pour moi, je vous déclare que je ne veux rien ; je préfère à tout l’or du monde le plaisir d’avoir contribué à améliorer la fortune de mon ancien maître. Il n’en est pas de même de notre