Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il me dit que ce qui lui tenait le plus au cœur c’était d’avoir dissipé des biens considérables dans ses campagnes, de sorte qu’il n’avait plus que cent ducats de rente ; ce qui suffisait à peine pour entretenir sa moustache, payer son logement et faire écrire ses placets. Car enfin, seigneur cavalier, ajouta-t-il en haussant les épaules, j’en présente, Dieu merci, tous les jours, sans qu’on y fasse la moindre attention. Vous diriez qu’il y a une gageure entre le premier ministre et moi, et que c’est à qui de nous deux se lassera, moi d’en donner, ou lui d’en recevoir. J’ai aussi l’honneur d’en présenter souvent au roi ; mais le curé ne chante pas mieux que son vicaire ; et pendant ce temps-là mon château de Chinchilla tombe en ruines, faute de réparations.

Il ne faut désespérer de rien, dis-je alors au capitaine ; vous n’ignorez pas que les grâces de la cour se font ordinairement un peu attendre ; vous êtes peut-être à la veille de voir payer avec usure vos peines et vos travaux. Je ne dois pas me flatter de cette espérance, répondit don Annibal. Il n’y a pas trois jours que j’ai parlé à un des secrétaires du ministre ; et, si j’en crois ses discours, je n’ai qu’à me tenir gaillard. Et que vous a-t-il donc dit, repris-je, seigneur officier ? Est-ce que l’état où vous êtes ne lui a pas paru digne d’une récompense ? Vous en allez juger, repartit Chinchilla. Ce secrétaire m’a dit tout net : Seigneur gentilhomme, ne vantez pas tant votre zèle et votre fidélité : vous n’avez fait que votre devoir en vous exposant aux périls pour votre patrie. La seule gloire qui est attachée aux belles actions les paye assez et doit suffire principalement à un Espagnol. Il faut donc vous détromper, si vous regardez comme une dette la gratification que vous sollicitez. Si on vous l’accorde, vous devrez uniquement cette grâce à la bonté du roi, qui veut bien se croire redevable à ceux de ses sujets qui ont bien servi l’État. Vous voyez par là, poursuivit le capitaine, que j’en