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recherche des secrets chimiques et dans l’art merveilleux de transmuer les métaux en or.

Mais je ne pense pas, poursuivit-il en se reprenant, que je parle à un jeune cavalier à qui mes discours doivent en effet paraître des rêveries. Un échantillon de mon savoir-faire vous disposera, mieux que tout ce que je pourrais dire, à juger de moi plus favorablement. À ces mots il tira de sa poche une fiole remplie d’une liqueur vermeille. Ensuite il me dit : Voici un élixir que j’ai composé ce matin des sucs de certaines plantes distillées à l’alambic ; car j’ai employé presque toute ma vie, comme Démocrite, à trouver les propriétés des simples et des minéraux. Vous allez éprouver sa vertu. Le vin que nous buvons à notre souper est très mauvais ; il va devenir excellent. En même temps il mit deux gouttes de son élixir dans ma bouteille, qui rendirent mon vin plus délicieux que les meilleurs qui se boivent en Espagne.

Le merveilleux frappe l’imagination ; et, quand une fois elle est gagnée, on ne se sert plus de son jugement. Charmé d’un si beau secret, et persuadé qu’il fallait être un peu plus que diable pour l’avoir trouvé, je m’écriai plein d’admiration : Ô mon père ! pardonnez-moi de grâce, si je vous ai pris d’abord pour un vieux fou. Je vous rends justice présentement. Je n’ai pas besoin d’en voir davantage pour être assuré que vous feriez, si vous vouliez, tout à l’heure un lingot d’or d’une barre de fer. Que je serais heureux si je possédais cette admirable science ! Le ciel vous préserve de l’avoir jamais ! interrompit le vieillard en poussant un profond soupir. Vous ne savez pas, mon fils, ce que vous souhaitez. Au lieu de me porter envie, plaignez-moi plutôt de m’être donné tant de peine pour me rendre malheureux. Je suis toujours dans l’inquiétude. Je crains d’être découvert, et qu’une prison perpétuelle ne devienne le salaire de tous mes travaux. Dans cette appréhension, je mène une vie errante, déguisé tantôt en prêtre