Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flatter ? Votre château de Lirias ne vous en offre-t-il pas une plus agréable ? Si vous en étiez autrefois charmé, vous en goûterez encore mieux les douceurs présentement que vous êtes dans un âge plus propre à vous laisser toucher des beautés de la nature.

Le fils de la Coscolina n’eut pas de peine à me faire changer de sentiment. Mon ami, lui dis-je, tu l’emportes sur le père de Saint-Dominique. Je vois bien, en effet, que je ferai mieux de retourner à mon château ; je m’arrête à ce parti. Nous regagnerons Lirias aussitôt que je serai en état d’en reprendre le chemin : ce qui arriva bientôt ; car n’ayant plus la fièvre, je me sentis en peu de temps assez fort pour exécuter cette résolution. Nous nous rendîmes à Madrid, Scipion et moi. La vue de cette ville ne me fit plus autant de plaisir qu’elle m’en avait fait auparavant. Comme je savais que presque tous ses habitants avaient en horreur la mémoire d’un ministre dont je conservais le plus tendre souvenir, je ne pouvais la regarder de bon œil : aussi je n’y demeurai que cinq ou six jours, que Scipion employa aux préparatifs de notre départ pour Lirias. Pendant qu’il songeait à notre équipage, j’allai trouver Caporis qui me donna mon legs en doublons. Je vis aussi les receveurs des commanderies sur lesquelles j’avais des pensions ; je pris des arrangements avec eux pour le payement ; en un mot, je mis ordre à toutes mes affaires.

La veille de notre départ, je demandai au fils de la Coscolina s’il avait pris congé de don Henri. Oui, me répondit-il, nous nous sommes séparés ce matin tous deux à l’amiable : il m’a pourtant témoigné qu’il était fâché que je le quittasse ; mais s’il était content de moi, je ne l’étais guère de lui. Ce n’est point assez que le valet plaise au maître, il faut encore que le maître plaise au valet ; autrement ils sont l’un et l’autre fort mal ensemble. D’ailleurs, ajouta-t-il, don Henri ne fait plus à la cour qu’une pitoyable figure ; il est tombé dans le dernier mépris : on le montre au doigt dans les