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nante de Portugal, revint de Lisbonne à Madrid, et fit voir clairement au roi que la révolution de ce royaume n’était arrivée que par la faute de son premier ministre.

Les discours de cette princesse firent toute l’impression qu’ils pouvaient faire sur l’esprit du monarque qui, revenant enfin de son entêtement pour son favori, se dépouilla de toute l’affection qu’il avait pour lui. Lorsque ce ministre fut informé que le roi écoutait ses ennemis, il s’avisa de lui écrire un billet pour lui demander la permission de se démettre de son emploi, et de s’éloigner de la cour, puisqu’on lui faisait l’injustice de lui imputer tous les malheurs arrivés à la monarchie pendant le cours de son ministère. Il s’imaginait que cette lettre ferait un grand effet, croyant que le prince conservait encore pour lui assez d’amitié pour ne vouloir pas consentir à son éloignement ; mais toute la réponse que lui fit Sa Majesté fut qu’elle lui accordait la permission qu’il demandait, et qu’il pouvait se retirer où bon lui semblerait.

Ces paroles écrites de la main du roi furent un coup de tonnerre pour monseigneur, qui ne s’y était nullement attendu. Néanmoins, quoiqu’il en fût étourdi, il affecta un air de constance, et me demanda ce que je ferais à sa place. Je prendrais, lui dis-je, aisément mon parti ; j’abandonnerais la cour, et j’irais à quelqu’une de mes terres passer tranquillement le reste de mes jours. Tu penses sainement, répliqua mon maître, et je prétends bien aller finir ma carrière à Loeches, après que j’aurai seulement une fois entretenu le monarque : je suis bien aise de lui remontrer que j’ai fait humainement tout ce que j’ai pu pour bien soutenir le pesant fardeau dont j’étais chargé, mais qu’il n’a pas dépendu de moi de prévenir les tristes événements dont on me fait un crime, n’étant point en cela plus coupable qu’un habile pilote, qui, malgré tout ce qu’il peut faire, voit son vaisseau emporté par les vents et par les flots. Ce ministre se flattait encore qu’en parlant