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qu’à lui. Je remerciai Nunez de son avertissement ; mais j’y fis peu d’attention, et je m’en retournai au logis, persuadé que l’autorité de mon maître était inébranlable, le regardant comme un de ces vieux chênes qui ont pris racine dans une forêt, et que les orages ne sauraient abattre.


CHAPITRE VIII

Comment Gil Blas apprit que l’avis de Fabrice n’était point faux. Du voyage que le roi fit à Saragosse


Cependant ce que le poète des Asturies m’avait dit n’était pas sans fondement. Il y avait au palais une confédération furtive contre le comte-duc, de laquelle on prétendait que la reine était le chef ; et toutefois il ne transpirait rien dans le public des mesures que les confédérés prenaient pour déplacer ce ministre. Il s’écoula même depuis ce temps-là plus d’une année, sans que je m’aperçusse que sa faveur eût reçu la moindre atteinte.

Mais la révolte des Catalans soutenus par la France et les mauvais succès de la guerre contre ces rebelles excitèrent les murmures du peuple, qui se plaignait du gouvernement. Ces plaintes donnèrent lieu à la tenue d’un conseil en présence du roi, qui voulut que le marquis de Grana, ambassadeur de l’Empereur à la cour d’Espagne, s’y trouvât. Il y fut mis en délibération s’il était plus à propos que le roi demeurât en Castille, ou qu’il passât en Aragon pour se faire voir à ses troupes. Le comte-duc, qui avait envie que ce prince ne partît point pour l’armée, parla le premier. Il représenta qu’il était plus convenable à la majesté royale de ne pas sortir du centre de ses États, et il appuya son sentiment de toutes les raisons que son éloquence put lui fournir