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tu as vue jouer hier au soir, puisque tu étais à la comédie.

Je ne pus m’empêcher de rire dans cet endroit. Laure m’en demanda la cause. Ne la devinez-vous pas bien ? lui dis-je. Vous n’avez ni frère ni sœur ; par conséquent vous ne pouvez être tante de Lucrèce. Outre cela, quand je calcule en moi-même le temps qui s’est écoulé depuis notre dernière séparation, et que je confronte ce temps avec le visage de votre nièce, il me semble que vous pourriez être toutes deux encore plus proches parentes.

Je vous entends, monsieur Gil Blas, reprit en rougissant un peu la veuve de don Antonio ; comme vous saisissez les époques ! Il n’y a pas moyen de vous en faire accroire. Eh bien ! oui, mon ami, Lucrèce est fille du marquis de Marialva et la mienne : elle est le fruit de notre union ; je ne saurais te le celer plus longtemps. Le grand effort que vous faites, lui dis-je, ma princesse, en me révélant ce secret, après m’avoir fait confidence de vos équipées avec l’économe de l’hôpital de Zamora ! Je vous dirai de plus que Lucrèce est un sujet d’un mérite si singulier, que le public ne peut assez vous remercier de lui avoir fait ce présent. Il serait à souhaiter que toutes vos camarades ne lui en fissent pas de plus mauvais.

Si quelque lecteur malin, rappelant ici les entretiens particuliers que j’eus à Grenade avec Laure, lorsque j’étais secrétaire du marquis de Marialva, me soupçonne de pouvoir disputer à ce seigneur l’honneur d’être père de Lucrèce, c’est un soupçon dont je veux bien, à ma honte, lui avouer l’injustice.

Je rendis compte à mon tour à Laure de mes principales aventures et de l’état présent de mes affaires. Elle écouta mon récit avec une attention qui me fit connaître qu’il ne lui était pas indifférent. Ami Santillane, me dit-elle quand je l’eus achevé, vous jouez, à ce que je vois, un assez beau rôle sur le théâtre du