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LIVRE DOUZIÈME


CHAPITRE PREMIER

Gil Blas est envoyé par le ministre à Tolède. Du motif et du succès de son voyage.


Il y avait déjà près d’un mois que monseigneur me disait tous les jours : Santillane, le temps approche où je veux mettre ton adresse en œuvre ; et ce temps ne venait point. Il arriva pourtant, et Son Excellence enfin me parla dans ces termes : On dit qu’il y a dans la troupe des comédiens de Tolède une jeune actrice qui fait du bruit par ses talents ; on prétend qu’elle danse et chante divinement, et qu’elle enlève le spectateur par sa déclamation : on assure même qu’elle a de la beauté. Un pareil sujet mérite bien de paraître à la cour. Le roi aime la comédie, la musique et la danse ; il ne faut pas qu’il soit privé du plaisir de voir et d’entendre une personne d’un mérite si rare. J’ai donc résolu de t’envoyer à Tolède, pour juger par toi-même si c’est en effet une actrice si merveilleuse : je m’en tiendrai à l’impression qu’elle aura faite sur toi ; je m’en fie à ton discernement.

Je répondis a monseigneur que je lui rendrais bon compte de cette affaire, et je me disposai à partir avec un seul laquais, à qui je fis quitter la livrée du ministre, pour faire les choses plus mystérieusement ; ce qui fut fort du goût de Son Excellence. Je pris donc le chemin de Tolède, où, étant arrivé, j’allai descendre à une