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occupe un corps de logis sur le derrière. J’y allai ; et, après avoir traversé une petite cour, j’entrai dans une salle toute nue, où je trouvai mon ami Fabrice encore à table, avec cinq ou six de ses confrères qu’il régalait ce jour-là.

Ils étaient sur la fin du repas, et par conséquent en train de disputer ; mais aussitôt qu’ils m’aperçurent, ils firent succéder un profond silence à leurs bruyants entretiens. Nunez se leva d’un air empressé pour me recevoir, en s’écriant : Messieurs, voilà le seigneur de Santillane qui veut bien m’honorer d’une de ses visites ; rendez avec moi vos hommages au favori du premier ministre. À ces paroles, tous les convives se levèrent aussi pour me saluer ; et, en faveur du titre qui m’avait été donné, ils me firent des civilités très respectueuses. Quoique je n’eusse besoin ni de boire ni de manger, je ne pus me défendre de me mettre à table avec eux, et même de faire raison à une brinde qu’ils me portèrent.

Comme il me parut que ma présence les empêchait de continuer à s’entretenir librement : Messieurs, leur dis-je, que je ne vous gêne point, s’il vous plaît ; il me semble que j’ai interrompu votre entretien ; reprenez-le, de grâce, ou je m’en vais. Ces messieurs, dit alors Fabrice, parlaient de l’Iphigénie d’Euripide. Le bachelier Melchior de Villegas, qui est un savant du premier ordre, demandait au seigneur don Jacinte de Romarate ce qui l’intéressait dans cette tragédie. Oui, dit don Jacinte, et je lui ai répondu que c’était le péril où se trouvait Iphigénie. Et moi, dit le bachelier, je lui ai répliqué (ce que je suis prêt à démontrer) que ce n’est point ce péril qui fait le véritable intérêt de la pièce. Qu’est-ce que c’est donc ? s’écria le vieux licencié Gabriel de Léon. C’est le vent, repartit le bachelier.

Toute la compagnie fit un éclat de rire à cette repartie que je ne crus pas sérieuse ; je m’imaginai que Melchior ne l’avait faite que pour égayer la conversation. Je ne connaissais pas ce savant : c’était un homme qui