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Nous fûmes interrompus dans cet endroit de notre entretien par doña Helena qui arriva dans la salle, et dont la personne toute gracieuse remplit l’idée charmante que je m’en étais formée. Madame, lui dit Cogollos, je vous présente le seigneur de Santillane, dont je vous ai parlé quelquefois, et dont l’aimable compagnie a souvent dans ma prison suspendu mes ennuis. Oui, Madame, dis-je à doña Helena, don Gaston vous dit la vérité. Ma conversation lui plaisait, parce que vous en faisiez toujours la matière. La fille de don Georges répondit modestement à ma politesse ; après quoi je pris congé de ces deux, époux, en leur protestant que j’étais ravi que l’hymen eût enfin succédé à leurs longues amours. Ensuite, m’adressant à Tordesillas, je le priai de m’apprendre sa demeure ; et lorsqu’il me l’eut enseignée : Sans adieu, lui dis-je, don André ; j’espère qu’avant huit jours vous verrez que je joins le pouvoir à la bonne volonté.

Je n’en eus pas le démenti. Dès le lendemain même, le comte-duc me fournit une occasion d’obliger ce châtelain. Santillane, me dit Son Excellence, la place du gouverneur de la prison royale de Valladolid est vacante : elle rapporte plus de trois cents pistoles par an ; il me prend envie de te la donner. Je n’en veux point, Monseigneur, lui répondis-je, valût-elle dix mille ducats de rente ; je renonce à tous les postes que je ne puis occuper sans m’éloigner de vous. Mais, reprit le ministre, tu peux fort bien remplir celui-là sans être obligé de quitter Madrid, que pour aller de temps en temps à Valladolid visiter la prison ; cela, comme tu vois, n’est pas incompatible. Vous direz, lui repartis-je, tout ce qu’il vous plaira ; je ne veux de cet emploi qu’à condition qu’il me sera permis de m’en démettre en faveur d’un brave gentilhomme appelé don André de Tordesillas, ci-devant châtelain de la tour de Ségovie : j’aimerais à lui faire ce présent, pour reconnaître les bons traitements qu’il m’a faits pendant ma prison.