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moins funeste qu’au malheureux que j’avais tué, puisque après l’action nous nous trouvâmes, mon compagnon et moi, dangereusement blessés. Mais représentez-vous quelle fut ma surprise, lorsque dans ce cavalier je reconnus Combados, le mari de doña Helena ! Il ne fut pas moins étonné de voir que j’étais son défenseur. Ah ! don Gaston, s’écria-t-il, quoi ! c’est vous qui venez me secourir ? Quand vous avez si généreusement pris mon parti, vous ignoriez que c’était celui d’un homme qui vous a enlevé votre maîtresse. Je l’ignorais en effet ; lui répondis-je ; mais quand je l’aurais su, pensez-vous que j’eusse balancé à faire ce que j’ai fait ? Jugeriez-vous assez mal de moi pour me croire une âme si basse ? Non, non, reprit-il, j’ai meilleure opinion de vous ; et, si je meurs des blessures que je viens de recevoir, je souhaite que les vôtres ne vous empêchent point de profiter de ma mort. Combados, lui dis-je, quoique je n’aie pas encore oublié doña Helena, sachez que je ne désire point sa possession aux dépens de votre vie ; je m’applaudis même d’avoir contribué à vous sauver des coups de trois assassins, puisqu’en cela j’ai fait une action agréable à votre épouse.

Pendant que nous nous parlions de cette sorte, mon laquais descendit de cheval ; et, s’étant approché du cavalier qui était étendu sur la poussière, il lui ôta son masque, et nous fit voir des traits que Combrados reconnut d’abord. C’est Caprara, s’écria-t-il, ce perfide cousin qui, de dépit d’avoir manqué une riche succession qu’il m’avait injustement disputée, nourrissait depuis longtemps le désir de m’assassiner, et avait choisi ce jour pour le satisfaire ; mais le ciel a permis qu’il ait été la victime de son attentat.

Cependant notre sang coulait à bon compte, et nous nous affaiblissions à vue d’œil. Néanmoins, tout blessés que nous étions, nous eûmes la force de gagner le bourg de Villarejo, qui n’est qu’à deux portées de fusil du champ de bataille. En arrivant à la première hôtel-