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prisons de Ségovie par ordre du duc de Lerme, qu’il m’en a fait sortir. Il s’agit à présent, seigneur Gil Blas, de vous conter ce qui m’est arrivé depuis que je suis libre.

La première chose que je fis, poursuivit-il, après avoir remercié don André des attentions qu’il avait eues pour moi pendant ma prison, fut de me rendre à Madrid. Je me présentai devant le comte d’Olivarès, qui me dit : Ne craignez pas que le malheur qui vous est survenu fasse le moindre tort à votre réputation ; vous êtes pleinement justifié ; je suis d’autant plus assuré de votre innocence, que le marquis de Villareal, dont on vous a soupçonné d’être complice, n’était pas coupable. Quoique Portugais, et parent même du duc de Bragance, il est moins dans ses intérêts que dans ceux du roi mon maître. On n’a donc point dû vous faire un crime de votre liaison avec ce marquis ; et, pour réparer l’injustice qu’on vous a faite en vous accusant de trahison, le roi vous donne une lieutenance dans sa garde espagnole. J’acceptai cet emploi, en suppliant Son Excellence de me permettre, avant que d’entrer en service, d’aller à Coria pour y voir doña Eleonor de Laxarilla, ma tante. Le ministre m’accorda un mois pour faire ce voyage, et je partis accompagné d’un seul laquais.

Nous avions déjà passé Colmenar, et nous étions engagés dans un chemin creux entre deux montagnes, quand nous aperçûmes un cavalier qui se défendait vaillamment contre trois hommes qui l’attaquaient tous ensemble. Je ne balançai point à le secourir ; je me hâtai de le joindre, et je me mis à son côté. Je remarquai, en me battant, que nos ennemis étaient masqués, et que nous avions affaire à de vigoureux spadassins. Cependant, malgré leur force et leur adresse, nous demeurâmes vainqueurs ; je perçai un des trois ; il tomba de cheval, et les deux autres prirent la fuite à l’instant. Il est vrai que la victoire ne nous fut guère