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CHAPITRE VII

Par quel hasard, dans quel endroit et dans quel état Gil Blas retrouva son ami Fabrice, et de l’entretien qu’ils eurent ensemble.


Rien ne faisait plus de plaisir à Monseigneur que d’apprendre ce qu’on pensait à Madrid de la conduite qu’il tenait dans son ministère. Il me demandait tous les jours ce qu’on disait de lui dans le monde. Il avait même des espions qui, pour son argent, lui rendaient un compte exact de tout ce qui se passait dans la ville. Ils lui rapportaient jusqu’aux moindres discours qu’ils avaient entendus ; et, comme il leur ordonnait d’être sincères, son amour-propre en souffrait quelquefois, car le peuple a une intempérance de langue qui ne respecte rien.

Quand je m’aperçus que le comte aimait qu’on lui fît des rapports, je me mis sur le pied d’aller l’après-dînée dans des lieux publics, et de me mêler à la conversation des honnêtes gens, quand il s’y en trouvait. Lorsqu’ils parlaient du gouvernement, je les écoutais avec attention ; et s’ils disaient quelque chose qui méritât d’être redit à Son Excellence, je ne manquais pas de lui en faire part. Mais il faut observer que je ne lui rapportais rien qui ne fût à son avantage. Il me semblait que j’en devais user ainsi avec un homme du caractère de ce ministre.

Un jour, en revenant de l’un de ces endroits, je passai devant la porte d’un hôpital. Il me prit envie d’y entrer. Je parcourus deux ou trois salles remplies de malades alités, en promenant ma vue de toutes parts. Parmi ces malheureux, que je ne regardais pas sans compassion, j’en remarquai un qui me frappa : je crus reconnaître en lui Fabrice, mon ancien camarade et mon compa-