Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’était à lui que s’adressait le mémoire, qu’en ôtant toutes les pensions et les gratifications qui se prenaient sur ses revenus ordinaires, il ne se priverait point pour cela du plaisir de récompenser ceux de ses sujets qui se rendraient dignes de ses grâces, puisque, sans toucher à son trésor, il était en état de leur donner de grandes récompenses : qu’il avait pour les uns des vice-royautés, des gouvernements, des ordres de chevalerie, des emplois militaires ; pour les autres, des commanderies ou des pensions dessus, des titres avec des magistratures ; et enfin toutes sortes de bénéfices pour les personnes consacrées au culte des autels.

Ce mémoire, qui était beaucoup plus long que le premier, m’occupa près de trois jours ; mais heureusement je le fis à la fantaisie de mon maître, qui, le trouvant écrit avec emphase et farci de métaphores, m’accabla de louanges. Je suis bien content de cela, me dit-il en montrant les endroits les plus enflés ; voilà des expressions marquées au bon coin. Courage, mon ami, je prévois que tu me seras d’une grande utilité. Cependant, malgré les applaudissements qu’il me prodigua, il ne laissa pas de retoucher le mémoire. Il y mit beaucoup du sien, et fit une pièce d’éloquence qui charma le roi et toute la cour. La ville y joignit son approbation, augura bien pour l’avenir, et se flatta que la monarchie reprendrait son ancien lustre sous le ministère d’un si grand personnage. Son Excellence, voyant que cet écrit lui faisait beaucoup d’honneur, voulut, pour la part que j’y avais, que j’en recueillisse quelque fruit ; elle me fit donner une pension de cinq cents écus sur la commanderie de Castille : ce qui me parut une récompense honnête de mon travail, et me fut d’autant plus agréable, que ce n’était pas un bien mal acquis, quoique je l’eusse gagné bien aisément.