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obscur et trop recherché. Il pense singulièrement ; et, comme je crois vous l’avoir déjà dit, il est capricieux et chimérique. Tel est le portrait de son esprit ; faisons celui de son cœur. Il est généreux et bon ami. On le dit vindicatif, mais quel Espagnol ne l’est pas ? De plus, on l’accuse d’ingratitude pour avoir fait exiler le duc d’Uzède et le frère Louis Aliaga, auxquels il avait, dit-on, de grandes obligations ; c’est ce qu’il faut encore lui pardonner ; l’envie d’être premier ministre dispense d’être reconnaissant.

Doña Agnès de Zuniga è Velasco, comtesse d’Olivarès, poursuivit Joseph, est une dame à qui je ne connais que le défaut de vendre au poids de l’or les grâces qu’elle fait obtenir. Pour doña Maria de Guzman, qui sans contredit est aujourd’hui le premier parti d’Espagne, c’est une personne accomplie et l’idole de son père. Réglez-vous là-dessus ; faites bien votre cour à ces deux dames, et paraissez encore plus dévoué au comte d’Olivarès que vous ne l’étiez au duc de Lerme avant votre voyage de Ségovie : vous deviendrez par ce moyen un homme comblé d’honneurs et de richesses.

Je vous conseille encore, ajouta-t-il, de voir de temps en temps don Baltazar mon maître ; quoique vous n’ayez plus besoin de lui pour vous avancer, ne laissez pas de le ménager. Vous êtes bien dans son esprit ; conservez son estime et son amitié ; il peut vous servir dans l’occasion. Comme l’oncle et le neveu, dis-je à Navarro, gouvernent ensemble l’État, n’y aurait-il point un peu de jalousie entre ces deux collègues ? Non, me répondit-il, ils sont au contraire dans la plus parfaite union. Sans don Baltazar, le comte d’Olivarès ne serait peut-être pas premier ministre ; car enfin, après la mort de Philippe III, tous les amis et les partisans de la maison de Sandoval se donnèrent de grands mouvements, les uns en faveur du cardinal, et les autres pour son fils ; mais mon maître, le plus délié des courtisans, et le comte, qui n’est guère moins fin que lui,