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CHAPITRE III

De ce qui empêcha Gil Blas d’exécuter la résolution où il était d’abandonner la cour, et du service important que Joseph Navarro lui rendit.


En m’en retournant à mon hôtel garni, je rencontrai Joseph Navarro, chef d’office de don Baltazar de Zuniga, et mon ancien ami. Je doutai quelques moments si je ne ferais pas semblant de ne le pas voir, ou si je l’aborderais pour lui demander pardon d’avoir si mal agi avec lui. Je m’arrêtai à ce dernier parti. Je saluai Navarro, et l’abordant fort poliment : Me reconnaissez-vous ? lui dis-je ; et serez-vous encore assez bon pour vouloir parler à un misérable qui a payé d’ingratitude l’amitié que vous aviez pour lui ? Vous avouez donc, me répondit-il, que vous n’en avez pas trop bien usé avec moi ! Oui, lui repartis-je, et vous êtes en droit de m’accabler de reproches ; je le mérite, si toutefois je n’ai pas expié mon crime par les remords qui l’ont suivi. Puisque vous vous êtes repenti de votre faute, reprit Navarro en m’embrassant, je ne dois plus m’en ressouvenir. De mon côté, je pressai Joseph entre mes bras ; et tous deux nous reprîmes l’un pour l’autre nos premiers sentiments.

Il avait appris mon emprisonnement et la déroute de mes affaires ; mais il ignorait tout le reste. Je l’en informai ; je lui racontai jusqu’à la conversation que j’avais eue avec le roi, et je ne lui cachai pas la mauvaise réception que le ministre venait de me faire, non plus que le dessein où j’étais de me retirer dans ma solitude. Gardez-vous bien de vous en aller, me dit-il ; puisque le monarque a témoigné de l’amitié pour vous, il faut bien que cela vous serve à quelque chose. Entre nous,