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Pour un homme de votre âge, reprit le fils de la Coscolina, vous êtes bien détaché du monde. À votre place, j’aurais un désir curieux. Quel désir ? interrompis-je. Ma foi, reprit-il, j’irais à Madrid montrer mon visage au jeune monarque, pour voir s’il me remettrait ; c’est un plaisir que je me donnerais. Je t’entends, lui dis-je ; tu voudrais que je retournasse à la cour pour y tenter de nouveau la fortune, ou plutôt pour y redevenir un avare et un ambitieux. Pourquoi vos mœurs s’y corrompraient-elles encore ? me repartit Scipion. Ayez plus de confiance que vous n’en avez en votre vertu. Je vous réponds de vous-même. Les saines réflexions que votre disgrâce vous a fait faire sur la cour ne vous permettent point d’en redouter les dangers. Rembarquez-vous hardiment sur une mer dont vous connaissez tous les écueils. Tais-toi, flatteur, m’écriai-je en souriant, es-tu las de me voir mener une vie tranquille ? Je croyais que mon repos t’était plus cher.

Dans cet endroit de notre conversation, don César et son fils arrivèrent. Ils me confirmèrent la nouvelle de la mort du roi, ainsi que le malheur du duc de Lerme. Ils m’apprirent de plus que ce ministre, ayant fait demander la permission de se retirer à Rome, n’avait pu l’obtenir, et qu’il lui était ordonné de se rendre à son marquisat de Denia. Ensuite, comme s’ils eussent agi de concert avec mon secrétaire, ils me conseillèrent d’aller à Madrid me présenter aux yeux du nouveau roi, puisque j’en étais connu, et que je lui avais même rendu des services que les grands récompensent assez volontiers. Pour moi, dit don Alphonse, je ne doute pas qu’il ne les reconnaisse ; Philippe IV doit payer les dettes du prince d’Espagne. J’ai le même pressentiment dit don César, et je regarde le voyage de Santillane à la cour comme une occasion pour lui de parvenir aux grands emplois.

En vérité, Messeigneurs, m’écriai-je, vous ne pensez pas bien à ce que vous dites ! Il semble, à vous entendre