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tous les jours, me proposa formellement de l’épouser.

Doucement, lui dis-je, mon adorable, cette cérémonie ne se peut faire entre nous si promptement ; il faut auparavant que j’apprenne la mort d’une jeune personne qui vous a prévenue, et dont je suis devenu l’époux pour mes péchés. À d’autres, me répondit Catalina ; je ne suis point assez crédule pour ajouter foi à ce que vous dites ; vous voulez me faire accroire que vous êtes marié ; et pourquoi ? pour me cacher poliment la répugnance que vous avez à me prendre pour votre épouse. Je lui protestai vainement que je lui disais la vérité ; mon aveu sincère, lui parut une défaite, et, s’en trouvant offensée, elle changea de manières à mon égard. Nous ne nous brouillâmes point ; mais notre commerce se refroidit à vue d’œil, et nous n’eûmes plus l’un pour l’autre que des égards de bienséance et d’honnêteté.

Dans cette conjoncture, j’appris qu’il fallait un laquais au seigneur Gil Blas de Santillane, secrétaire du premier ministre de la couronne d’Espagne ; et ce poste me flatta d’autant plus, qu’on m’en parla comme du plus gracieux que je pusse occuper. Le seigneur de Santillane, me dit-on, est un cavalier plein de mérite, un garçon chéri du duc de Lerme, et qui, par conséquent, ne saurait manquer de pousser loin sa fortune : d’ailleurs il a le cœur généreux ; en faisant ses affaires, vous ferez fort bien les vôtres. Je ne négligeai point cette occasion ; j’allai me présenter au seigneur Gil Blas, pour qui d’abord je me sentis naître de l’inclination, et qui m’arrêta sur ma physionomie. Je ne balançai point à quitter pour lui Mme la nourrice ; et il sera, s’il plaît au ciel, le dernier de mes maîtres.

Scipion finit son histoire en cet endroit. Puis, m’adressant la parole : Seigneur de Santillane, continua-t-il, c’est à vous que je m’adresse à présent ; faites-moi la grâce de témoigner à ces dames que vous m’avez toujours connu pour un serviteur aussi fidèle que zélé.