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nouvelle qu’on jouait alors. Cette pièce, suivant leurs discours, faisait grand bruit dans la ville. Il me prit envie de l’aller voir représenter dès ce jour-là. Je n’avais point été à la comédie depuis que j’étais à Grenade. Comme j’avais presque toujours demeuré à l’archevêché, où ce spectacle était frappé d’anathème, je n’avais eu garde de me donner ce plaisir-là. Les homélies avaient fait tout mon amusement.

Je me rendis donc dans la salle des comédiens lorsqu’il en fut temps, et j’y trouvai une nombreuse assemblée. J’entendis faire autour de moi des dissertations sur la pièce avant qu’elle commençât, et je remarquai que tout le monde se mêlait d’en juger. L’un se déclarait pour, l’autre contre. A-t-on jamais vu un ouvrage mieux écrit ? disait-on à ma droite. Le pitoyable style ! s’écriait-on à ma gauche. En vérité, s’il y a bien de mauvais auteurs, il faut convenir qu’il y a encore plus de mauvais critiques. Et quand je pense au dégoût que les poètes dramatiques ont à essuyer, je m’étonne qu’il y en ait d’assez hardis pour braver l’ignorance de la multitude et la censure dangereuse des demi-savants qui corrompent quelquefois le jugement du public.

Enfin le Gracioso se présenta pour ouvrir la scène. Dès qu’il parut, il excita un battement de mains général ; ce qui me fit connaître que c’était un de ces acteurs gâtés à qui le parterre pardonne tout. Effectivement ce comédien ne disait pas un mot, ne faisait pas un geste sans s’attirer des applaudissements. On lui marquait trop le plaisir qu’on prenait à le voir. Aussi en abusait-il. Je m’aperçus qu’il s’oubliait quelquefois sur la scène, et mettait à une trop forte épreuve la prévention où l’on était en sa faveur. Si on l’eût sifflé au lieu de l’applaudir, on lui aurait souvent rendu justice.

On battit aussi des mains à la vue de quelques autres acteurs, et particulièrement d’une actrice qui faisait un rôle de suivante. Je m’attachai à la considérer ; et