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son trésorier ; j’ose même dire que je me suis acquitté de cet emploi avec honneur. Il est vrai que je suis peut-être redevable de quelque chose à la caisse ; car, comme je prenais dedans mes gages d’avance, et que j’ai quitté brusquement le service du chevalier, il n’est pas impossible que le comptable soit en reste ; en tout cas, c’est le dernier reproche qu’on ait à me faire, puisque j’ai toujours été depuis ce temps-là plein de droiture et de probité.

J’étais donc, poursuivit le fils de la Coscolina, secrétaire et trésorier de don Manrique, qui paraissait aussi content de moi que j’étais satisfait de lui, lorsqu’il reçut de Tolède une lettre par laquelle on lui mandait que doña Theodora Muscoso, sa tante, était à l’extrémité. Il fut si sensible à cette nouvelle, qu’il partit sur-le-champ pour se rendre auprès de cette dame qui lui servait de mère depuis plusieurs années. Je l’accompagnai dans ce voyage avec un valet de chambre et un laquais seulement ; et tous quatre, montés sur les meilleurs chevaux de nos écuries, nous gagnâmes en diligence Tolède, où nous trouvâmes doña Theodora dans un état à nous faire espérer qu’elle ne mourrait point de sa maladie ; et véritablement nos pronostics, quoique contraires à celui d’un vieux médecin qui la gouvernait, ne furent pas démentis par l’événement.

Pendant que la santé de notre bonne tante se rétablissait à vue d’œil, moins peut-être par les remèdes qu’on lui faisait prendre que par la présence de son cher neveu, M. le trésorier passait son temps le plus agréablement qu’il lui était possible, avec des jeunes gens dont la connaissance était fort propre à lui procurer des occasions de dépenser son argent. Outre les fêtes galantes qu’ils m’obligeaient à donner aux dames dont ils me procuraient la connaissance, ils m’entraînaient quelquefois dans des tripots, où ils m’engageaient à jouer avec eux ; et, n’étant pas aussi habile joueur que mon maître don Abel, je perdais beaucoup plus sou-