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nent, se pique de la plus scrupuleuse intégrité. Il va vous dire au juste ce que vaut l’habillement dont vous voulez vous défaire, et vous pourrez vous en tenir à son estimation. Oh ! pour cela, oui, dit le fripier. Il faudrait que je fusse un grand misérable, pour priser une chose au-dessous de sa valeur. C’est ce qu’on ne m’a point encore reproché, Dieu merci, et ce qu’on ne reprochera jamais à Ybagnez de Ségovie. Voyons un peu, ajouta-t-il, les hardes que vous avez envie de vendre ; je vous dirai en conscience ce qu’elles valent. Les voici, lui dit le brave en les lui montrant ; convenez que rien n’est plus magnifique ; remarquez la beauté de ce velours de Gênes et la richesse de cette garniture. J’en suis enchanté, répondit le fripier après avoir examiné l’habit avec beaucoup d’attention ; rien n’est plus beau. Et que pensez-vous des perles fines qui sont à cette couronne ? reprit mon ami. Si elles étaient plus rondes, répondit Ybagnez, elles seraient inestimables ; cependant, telles qu’elles sont, je les trouve fort belles, et j’en suis aussi content que du reste. J’en demeure d’accord, continua-t-il, et j’aime à rendre justice. Un fourbe de fripier, à ma place, affecterait de mépriser la marchandise pour l’avoir à vil prix, et n’aurait pas honte d’en offrir vingt pistoles ; mais moi, qui ai de la morale, j’en donnerai quarante.

Quand Ybagnez aurait dit cent, il n’eût pas encore été un juste estimateur, puisque les perles seules en valaient bien deux cents. Le brave, qui s’entendait avec lui, me dit : Voyez le bonheur que vous avez d’être tombé entre les mains d’un honnête homme. Le seigneur Ybagnez apprécie les choses comme s’il était à l’article de la mort. Cela est vrai, dit le fripier ; aussi n’y a-t-il pas une obole à rabattre ou à augmenter avec moi. Eh bien ! ajouta-t-il, est-ce une affaire finie ? n’y a-t-il qu’à vous compter l’espèce ? Attendez, lui répondit le brave, il faut auparavant que mon petit ami essaye l’habit que je vous ai fait apporter ici pour lui :