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point votre attente ; j’ai encore d’autres pareils exploits à vous conter, avant que j’en vienne à mes actions louables ; mais j’y viendrai, et vous verrez par mon récit qu’un fripon peut fort bien devenir un honnête homme ;

Tout enfant que j’étais, je ne fus pas assez sot pour reprendre le chemin de Tolède ; c’eût été m’exposer au hasard de rencontrer le frère Chrysostome, qui m’aurait fait rendre désagréablement son magot. Je suivis une autre route qui me conduisit au village de Galves, où je m’arrêtai dans une hôtellerie, dont l’hôtesse était une veuve de quarante ans, qui avait toutes les qualités requises pour bien faire ses petites affaires. Cette femme n’eut pas plus tôt jeté les yeux sur moi, que, jugeant à mon habillement que je devais être un échappé de l’hôpital des orphelins, elle me demanda qui j’étais et où j’allais. Je lui répondis qu’ayant perdu mon père et ma mère, je cherchais une condition. Mon enfant, me dit-elle, sais-tu lire ? Je l’assurai que je lisais, et même que j’écrivais à merveille. Véritablement je formais mes lettres, et je les liais de façon que cela ressemblait un peu à de l’écriture ; et c’en était assez pour les expéditions d’une taverne de village. Je te retiens donc à mon service, me répliqua l’hôtesse. Tu ne me seras pas inutile ; tu tiendras ici le registre de mes dettes actives et passives. Je ne te donnerai point de gages, ajouta-t-elle, attendu qu’il vient dans cette hôtellerie d’honnêtes gens qui n’oublient pas les valets. Tu peux compter sur de bons petits profits.

J’acceptai le parti, me réservant, comme vous pouvez le croire, le droit de changer d’air, sitôt que le séjour de Galves cesserait de m’être agréable. Dès que je me vis arrêté pour servir dans cette hôtellerie, je me sentis l’esprit travaillé d’une grande inquiétude, et plus j’y pensais, plus ma crainte me semblait bien fondée. Je ne voulais pas qu’on sût que j’avais de l’argent, et j’étais bien en peine de savoir où je le cacherais, pour qu’il fût à couvert de toute main étrangère. Je ne con-