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faux. Apprenez que je n’ai jamais composé de meilleure homélie que celle qui a le malheur de n’avoir pas votre approbation. Mon esprit, grâce au ciel, n’a rien encore perdu de sa vigueur. Désormais je choisirai mieux mes confidents ; j’en veux de plus capables que vous de décider. Allez, poursuivit-il en me poussant par les épaules hors de son cabinet, allez dire à mon trésorier qu’il vous compte cent ducats, et que le ciel vous conduise avec cette somme ! Adieu, monsieur Gil Blas ; je vous souhaite toutes sortes de prospérités, avec un peu plus de goût[1].


CHAPITRE V

Du parti que prend Gil Blas après que l’archevêque lui eut donné son congé. Par quel hasard il rencontra le licencié qui lui avait tant d’obligations, et quelles marques de reconnaissance il en reçut.


Je sortis du cabinet en maudissant le caprice, ou pour mieux dire, la faiblesse de l’archevêque, et plus en colère contre lui qu’affligé d’avoir perdu ses bonnes grâces. Je doutai même quelque temps si j’irais toucher mes cent ducats ; mais, après y avoir bien réfléchi, je ne fus pas assez sot pour n’en rien faire. Je jugeai que cet argent ne m’ôterait pas le droit de donner un ridicule à mon prélat ; à quoi je me promettais bien de ne pas manquer toutes les fois qu’on mettrait devant moi ses homélies sur le tapis.

J’allai donc demander cent ducats au trésorier, sans lui dire un seul mot de ce qui venait de se passer entre son maître et moi. Je cherchai ensuite Melchior de la Ronda pour lui dire un éternel adieu. Il m’aimait trop pour n’être pas sensible à mon malheur. Pendant que je

  1. Il n’y a pas de scène de comédie plus naturelle et plus vraie que celle-là. Aussi les homélies de l’archevêque de Grenade sont-elles devenues proverbe.