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tirai d’une jaquette semblable à la mienne. Si vous vous en trouvez bien, vous partagerez avec moi les douceurs de la vie que je mène ; et, si vous ne vous en accommodez point, non seulement il vous sera permis de me quitter, mais vous pouvez même compter qu’en nous séparant je ne manquerai pas de vous faire du bien.

Je me laissai persuader, et je suivis le vieil ermite, qui, chemin faisant, me fit plusieurs questions, auxquelles je répondis avec une ingénuité que je n’ai pas toujours eue dans la suite. En arrivant à l’ermitage, il me présenta quelques fruits que je dévorai, n’ayant rien mangé de toute la journée qu’un morceau de pain sec, dont j’avais déjeuné le matin à l’hôpital. Le solitaire, me voyant si bien jouer des mâchoires, me dit : Courage, mon enfant, ne ménage point mes fruits : j’en ai, grâce au ciel, une ample provision. Je ne t’ai pas amené ici pour te faire mourir de faim. Ce qui était très véritable ; car, une heure après notre arrivée, il alluma du feu, embrocha un gigot de mouton ; et, tandis que je tournais la broche, il dressa une petite table, qu’il couvrit d’une serviette assez malpropre, et sur laquelle il mit deux couverts, l’un pour lui et l’autre pour moi.

Quand la viande fut cuite, il la tira de la broche, et en coupa quelques pièces pour notre souper, qui ne fut pas un repas de brebis, puisque nous bûmes d’un excellent vin dont il avait aussi une bonne provision. Eh bien ! mon poulet, me dit-il lorsque nous fûmes hors de table, es-tu content de mon ordinaire ? ne vaut-il pas bien celui de ton hôpital ? Voilà de quelle façon tu seras traité tous les jours, si tu demeures avec moi. Au reste, poursuivit-il, tu ne feras dans cet ermitage que ce qu’il te plaira. J’exige de toi seulement que tu m’accompagnes toutes les fois que j’irai quêter dans les villages voisins ; tu me serviras à conduire un bourriquet chargé de deux paniers, que les paysans charitables remplissent ordinairement d’œufs, de pain, de viande et de poisson. Je ne te demande que cela. Il me semble que