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on les fit asseoir à table, l’un auprès de l’autre ; on leur porta des brindes[1] ; chacun leur fit fête : on eût dit que le festin se faisait plutôt à l’occasion de leur raccommodement que de mes noces.

La troisième table fut la première que l’on abandonna. Les jeunes villageois, préférant l’amour à la bonne chère, la quittèrent pour former des danses avec les jeunes paysannes, qui, par le bruit de leurs tambours de basque, attirèrent bientôt les personnes des autres tables, et leur inspirèrent l’envie de suivre leur exemple. Voilà tout le monde en mouvement : les officiers du gouverneur se mirent à danser avec les soubrettes de la gouvernante ; les seigneurs même se mêlèrent parmi les danseuses ; don Alphonse dansa une sarabande avec Séraphine, et don César une autre avec Antonia, qui vint ensuite me prendre, et qui ne s’en acquitta pas mal pour une personne qui n’avait que quelques principes de danse qu’elle avait reçus à Albarazin, chez une bourgeoise de ses parentes. Pour moi, qui, comme je l’ai déjà dit, avais appris à danser chez la marquise de Chaves, je parus à l’assemblée un grand danseur. À l’égard de Béatrix et de Scipion, ils commencèrent à s’entretenir en particulier, pour se rendre compte mutuellement de ce qui leur était arrivé pendant qu’ils avaient été séparés ; mais leur conversation fut interrompue par Séraphine, qui, venant d’être informée de leur reconnaissance, les fit appeler pour leur en témoigner sa joie. Mes enfants, leur dit-elle, dans ce jour de réjouissance, c’est un surcroît de satisfaction pour moi de vous voir tous deux rendus l’un à l’autre. Ami Scipion, ajouta-t-elle, je vous remets votre épouse, en vous protestant qu’elle a toujours tenu une conduite irréprochable ; vivez ici avec elle en bonne intelligence. Et vous, Béatrix, attachez-vous à Antonia, et ne lui soyez pas moins dévouée que votre mari l’est au sei-

  1. Brindis, brinde, santé que l’on se porte en buvant à la ronde. Ce mot est venu des Flamands.