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t-il, ce n’est point là mon compte ; je ne suis point un gueux pour marier ainsi ma fille. Basile de Buenotrige est en état, Dieu merci ! de la doter ; et je veux qu’elle vous donne à souper, si vous lui donnez à dîner. En un mot, le revenu de ce château n’est que de cinq cents ducats ; je le ferai monter à mille, en faveur de ce mariage.

J’en passerai par tout ce qu’il vous plaira, mon cher Basile, lui répliquai-je ; nous n’aurons point ensemble de dispute d’intérêt. Nous sommes tous deux d’accord ; il ne s’agit plus que d’avoir le consentement de votre fille. Vous avez le mien, me dit-il ; est-ce que cela ne suffit point ? Pas tout à fait, lui répondis-je ; si le vôtre m’est nécessaire, le sien l’est aussi. Le sien dépend du mien, reprit-il ; je voudrais bien qu’elle osât souffler devant moi ! Antonia, lui repartis-je, soumise à l’autorité paternelle, est prête sans doute à vous obéir aveuglément ; mais je ne sais si dans cette occasion elle le fera sans répugnance ; et, pour peu qu’elle en eût, je ne me consolerais jamais d’avoir fait son malheur ; enfin ce n’est pas assez que j’obtienne de vous sa main, il faut qu’elle souscrive au don que vous m’en faites. Oh dame ! dit Basile, je n’entends pas toutes ces philosophies : parlez vous-même à Antonia, et vous verrez, ou je me trompe fort, qu’elle ne demande pas mieux que d’être votre femme. En achevant ces paroles, il appela sa fille, et me laissa un moment avec elle.

Pour profiter d’un temps si précieux, j’entrai d’abord en matière : Belle Antonia, lui dis-je, décidez de mon sort. Quoique j’aie l’aveu de votre père, ne vous imaginez pas que je veuille m’en prévaloir pour faire violence à vos sentiments. Quelque charmante que soit votre possession, j’y renonce si vous me dites que je ne la devrai qu’à votre seule obéissance. C’est ce que je n’ai garde de vous dire, me répondit Antonia en rougissant un peu ; votre recherche m’est trop agréable pour qu’elle me puisse faire de la peine, et j’applaudis au