Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je repris donc le chemin de Lirias, fort satisfait de mon voyage.

Scipion, qui attendait impatiemment mon retour, fut ravi de me revoir, et je redoublai sa joie par la fidèle relation que je lui fis de tout ce qui m’était arrivé. Et toi, mon ami, lui dis-je ensuite, quel usage as-tu fait ici des jours de mon absence ? T’es-tu bien diverti ? Autant, répondit-il, que le peut faire un serviteur qui n’a rien de si cher que la présence de son maître. Je me suis promené en long et en large dans nos petits États ; tantôt assis sur le bord de la fontaine qui est dans le bois, j’ai pris plaisir à contempler la beauté de ses eaux qui sont aussi pures que celles de la fontaine sacrée, dont le bruit faisait retentir la vaste forêt d’Albunea ; et tantôt couché au pied d’un arbre, j’ai entendu chanter les fauvettes et les rossignols. Enfin, j’ai chassé, j’ai pêché, et, ce qui m’a plus satisfait encore que tous ces amusements, j’ai lu plusieurs livres aussi utiles que divertissants.

J’interrompis avec précipitation mon secrétaire pour lui demander où il avait pris ces livres. Je les ai trouvés, me dit-il, dans une belle bibliothèque qu’il y a dans ce château, et que maître Joachim m’a fait voir. Eh ! dans quel endroit, repris-je, peut-elle être, cette prétendue bibliothèque ? n’avons-nous pas visité toute la maison le jour de notre arrivée ? Vous vous l’imaginez, me repartit-il ; mais apprenez que nous ne parcourûmes que trois pavillons, et que nous oubliâmes le quatrième. C’est là que don César, lorsqu’il venait à Lirias, employait une partie de son temps à la lecture. Il y a dans cette bibliothèque de très bons livres qu’on vous a laissés comme une ressource assurée contre l’ennui, quand nos jardins dépouillés de fleurs et nos bois de feuilles n’auront plus de quoi vous en préserver. Les seigneurs de Leyva n’ont pas fait les choses à demi : ils ont songé à la nourriture de l’esprit aussi bien qu’à celle du corps.