Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à lui confiés, deux ou trois procès qu’il a gagnés avec dépens. Cela étant, repris-je, il ne faut pas douter que la restitution n’ait été faite avec une scrupuleuse fidélité.

Notre conversation dura quelque temps encore ; ensuite nous nous séparâmes, eux en m’exhortant à avoir toujours devant les yeux la crainte du Seigneur, et moi en me recommandant à leurs bonnes prières. J’allai sur-le-champ trouver don Alphonse. Vous ne devineriez jamais, lui dis-je, avec qui je viens d’avoir un long entretien. Je quitte deux vénérables chartreux de votre connaissance ; l’un se nomme le père Hilaire, et l’autre le frère Ambroise. Vous vous trompez, me répondit don Alphonse, je ne connais aucun chartreux. Pardonnez-moi, lui répliquai-je ; vous avez vu à Xelva le frère Ambroise, commissaire de l’Inquisition, et le père Hilaire, greffier. Ô ciel ! s’écria le gouverneur avec surprise, serait-il possible que Raphaël et Lamela fussent devenus chartreux ? Oui, vraiment, lui répondis-je : il y a déjà quelques années qu’ils ont fait profession. Le premier est procureur de la maison, et le second est portier. L’un est maître de la caisse, et l’autre de la porte.

Le fils de don César rêva quelques moments, puis branlant la tête : Monsieur le commissaire de l’Inquisition et son greffier, dit-il, m’ont bien la mine de jouer ici une nouvelle comédie. Cela peut être, lui répondis-je ; pour moi, qui les ai entretenus, je vous avouerai que je juge d’eux plus favorablement. Il est vrai qu’on ne voit point le fond des cœurs ; mais, selon toutes les apparences, ce sont deux fripons convertis. Cela se peut, reprit don Alphonse ; il y a bien des libertins qui, après avoir scandalisé le monde par leurs dérèglements, s’enferment dans les cloîtres pour en faire une rigoureuse pénitence : je souhaite que nos deux moines soient de ces libertins-là.

Eh ! pourquoi, lui dis-je, n’en seraient-ils pas ? Ils ont volontairement embrassé l’état monastique, et il y a déjà longtemps qu’ils vivent en bons religieux.