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au contraire, j’en suis enchanté : tout ce qui m’en déplaît, c’est d’y voir des cuisiniers d’archevêque, avec trois fois plus de domestiques qu’il ne m’en faut, et qui ne servent là qu’à vous faire faire une dépense aussi considérable qu’inutile.

Si vous eussiez, dit don César, accepté la pension de deux mille ducats que nous vous offrîmes à Madrid, nous nous serions contentés de vous donner le château tel qu’il est ; mais vous savez que vous la refusâtes et nous avons cru devoir faire en récompense ce que nous avons fait. C’en est trop, lui répondis-je ; votre bonté doit s’en tenir au don de cette terre, qui a de quoi combler mes désirs. Vous dirai-je tout ce que j’en pense ? Indépendamment de ce qu’il vous en coûte pour entretenir tant de monde, je vous proteste que ces gens-là me gênent et m’incommodent. En un mot, ajoutai-je, Messeigneurs, reprenez votre bien, ou daignez m’en laisser jouir à ma volonté. Je prononçai d’un air si vif ces dernières paroles, que le père et le fils, qui ne prétendaient nullement me contraindre, me permirent enfin d’en user comme il me plairait dans mon château.

Je les remerciais de m’avoir accordé cette liberté, sans laquelle je ne pouvais être heureux, lorsque don Alphonse m’interrompit en me disant : Mon cher Gil Blas, je veux vous présenter à une dame qui sera bien aise de vous voir. En parlant de cette sorte, il me prit par la main, et me mena dans l’appartement de Séraphine, qui poussa un cri de joie en m’apercevant. Madame, lui dit le gouverneur, je crois que l’arrivée de notre ami Santillane à Valence ne vous est pas moins agréable qu’à moi. C’est de quoi, répondit-elle, il doit être bien persuadé ; le temps ne m’a point fait perdre le souvenir du service qu’il m’a rendu ; et j’ajoute à la reconnaissance que j’en ai celle que je dois à un homme à qui vous avez obligation. Je dis à Mme la gouvernante que je n’étais que trop payé du péril que j’avais partagé avec ses libérateurs en exposant ma vie pour