Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de m’ajuster, mon secrétaire entra dans ma chambre. Scipion, lui dis-je, tu vois un homme qui se dispose à partir pour Valence : je ne crois pas que tu désapprouves mon dessein ; je ne puis aller trop tôt saluer les seigneurs à qui je dois : ma petite fortune ; chaque moment que je diffère à m’acquitter de ce devoir semble m’accuser d’ingratitude. Pour toi, mon ami, je te dispense de m’accompagner ; demeure ici pendant mon absence ; je reviendrai te joindre au bout de huit jours. Allez, monsieur, répondit-il ; faites bien votre cour à don Alphonse et à son père ; ils me paraissent sensibles au zèle qu’on a pour eux, et très reconnaissants des services qu’on leur a rendus : les personnes de qualité de ce caractère-là sont si rares, qu’on ne peut assez les ménager. Je fis avertir Bertrand de se tenir prêt à partir ; et, tandis qu’il préparait les mules, je pris mon chocolat. Ensuite je montai dans ma chaise, après avoir recommandé à mes gens de regarder Scipion comme un autre moi-même, et de suivre ses ordres ainsi que les miens.

Je me rendis à Valence en moins de quatre heures. J’allai descendre tout droit aux écuries du gouverneur ; j’y laissai mon équipage, et je me fis conduire à l’appartement de ce seigneur, qui y était alors avec don César son père. J’ouvris la porte sans façon, j’entrai, et les abordant tous deux avec respect : Les valets, leur dis-je, ne se font point annoncer à leurs maîtres ; voici un de vos anciens serviteurs qui vient vous rendre ses devoirs. À ces mots, je voulus me prosterner devant eux ; mais ils m’en empêchèrent et m’embrassèrent l’un et l’autre avec tous les témoignages d’une véritable affection. Eh bien ! mon cher Santillane, me dit don Alphonse, avez-vous été à Lirias prendre possession de votre terre ? Oui, Seigneur, lui répondis-je ; et je vous prie de trouver bon que je vous la rende. Pourquoi donc cela ? répliqua-t-il ; a-t-elle quelque désagrément qui vous en dégoûte ? Non par elle-même, lui repartis-je ;