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rial. Il ne pouvait se lasser de le parcourir des yeux. Il est vrai que don César, qui venait de temps en temps à Lirias, prenait plaisir à le faire cultiver et embellir. Toutes les allées bien sablées et bordées d’orangers, un grand bassin de marbre blanc, au milieu duquel un lion de bronze vomissait de l’eau à gros bouillons, la beauté des fleurs, la diversité des fruits, tous ces objets ravirent Scipion : mais il fut particulièrement enchanté d’une longue allée qui conduisait, en descendant toujours, au logement du fermier, et que des arbres touffus couvraient de leur épais feuillage. En faisant l’éloge d’un lieu si propre à servir d’asile contre la chaleur, nous nous y arrêtâmes, et nous nous assîmes au pied d’un ormeau, où le sommeil eut peu de peine à surprendre deux gaillards qui venaient de bien dîner.

Nous nous réveillâmes en sursaut deux heures après, au bruit de plusieurs coups d’escopette, lesquels se firent entendre si près de nous, que nous en fûmes effrayés. Nous nous levâmes brusquement ; et, pour nous informer de la cause de ce bruit, nous nous rendîmes à la maison du fermier. Nous y trouvâmes huit ou dix villageois, tous habitants du hameau, qui, s’étant assemblés là, tiraient et dérouillaient leurs armes à feu pour célébrer mon arrivée, dont ils venaient d’être avertis. Ils me connaissaient la plupart, pour m’avoir vu plus d’une fois dans le château exercer l’emploi d’intendant. Ils ne m’aperçurent pas plus tôt, qu’ils crièrent tous ensemble : Vive notre nouveau seigneur, qu’il soit le bienvenu à Lirias ! Ensuite, ils rechargèrent leurs escopettes, et me régalèrent d’une décharge générale. Je leur fis l’accueil le plus gracieux qu’il me fut possible, avec gravité pourtant, ne jugeant pas devoir trop me familiariser avec eux. Je les assurai de ma protection : je leur lâchai même une vingtaine de pistoles, et ce ne fut pas, je crois, celle de mes manières qui leur plut le moins. Après cela, je leur laissai la liberté de jeter encore de la poudre au vent, et je