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Ce Garcias, interrompit-il, a, si je ne me trompe, été aumônier dans un couvent de filles. Il a encouru les censures ecclésiastiques. Je me souviens encore des mémoires qui m’ont été donnés contre lui. Ses mœurs ne sont pas fort bonnes. Monseigneur, interrompis-je à mon tour, je n’entreprendrai point de le justifier ; mais je sais qu’il a des ennemis. Il prétend que les auteurs des mémoires que vous avez vus se sont plus attachés à lui rendre de mauvais offices qu’à dire la vérité. Cela peut être, reprit l’archevêque : il y a dans le monde des esprits bien dangereux. D’ailleurs, je veux que sa conduite n’ait pas toujours été irréprochable : il peut s’en être repenti ; enfin, à tout péché miséricorde. Amène-moi ce licencié ; je lève l’interdiction.

C’est ainsi que les hommes les plus sévères rabattent de leur sévérité, quand leur plus cher intérêt s’y oppose. L’archevêque accorda sans peine au vain plaisir d’avoir ses œuvres bien écrites ce qu’il avait refusé aux plus puissantes sollicitations. Je portai promptement cette nouvelle au maître d’hôtel, qui la fit savoir à son ami Garcias. Ce licencié, dès le jour suivant, vint me faire des remercîments proportionnés à la grâce obtenue. Je le présentai à mon maître, qui se contenta de lui faire une légère réprimande et lui donna des homélies à mettre au net. Garcias s’en acquitta si bien qu’il fut rétabli dans son ministère. Il obtint même la cure de Gabie, gros bourg aux environs de Grenade ; ce qui prouve bien que les bénéfices ne se donnent pas toujours à la vertu.