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je ne puis néanmoins me faire honneur auprès de vous, puisqu’ils furent bientôt étouffés par l’avarice et par l’ambition. Mais dans la suite ayant été enfermé par ordre du roi dans la tour de Ségovie, j’y tombai dangereusement malade ; et c’est cette heureuse maladie qui vous a rendu votre fils. Oui, c’est ma maladie et ma prison qui ont fait reprendre à la nature tous ses droits, et qui m’ont entièrement détaché de la cour. Je suis revenu de cette vie tumultueuse, je ne respire plus que la solitude, et je ne suis venu aux Asturies que pour vous prier de vouloir bien partager avec moi les douceurs d’une vie retirée. Si vous ne rejetez pas ma prière, je vous conduirai à une terre que j’ai dans le royaume de Valence, et nous vivrons là très commodément. Vous jugez bien que je me proposais d’y mener aussi mon père ; mais puisque le ciel en a ordonné autrement, que j’aie du moins la satisfaction de posséder chez moi ma mère, et de pouvoir réparer par toutes les attentions imaginables le temps que j’ai passé sans lui être utile.

Je vous sais très bon gré de vos louables intentions, me dit alors ma mère, et je m’en irais avec vous sans balancer, si je n’y trouvais des difficultés. Je n’abandonnerai pas votre oncle mon frère dans l’état où il est, et je suis trop accoutumée à ce pays-ci pour m’en éloigner ; cependant, comme la chose mérite d’être mûrement examinée, je veux y rêver à loisir. Ne nous occupons présentement que du soin des funérailles de votre père. Chargeons-en, lui dis-je, ce jeune homme que vous avez vu avec moi ; c’est mon secrétaire, il a de l’esprit et du zèle ; nous pouvons nous en reposer sur lui.

À peine eus-je prononcé ces paroles, que Scipion revint ; il était déjà jour. Il nous demanda si nous n’avions pas besoin de son ministère dans l’embarras où nous étions. Je répondis qu’il arrivait fort à propos pour recevoir un ordre important que j’avais à lui donner. Dès qu’il sut de quoi il s’agissait : Cela suffit, me