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mon amitié lui préparait, il me demanda son congé. Je voulus, par compassion, lui faire changer de sentiment ; je lui remontrai vainement qu’il laissait l’os pour courir après l’ombre ; je ne pus retenir ce fou que la fureur d’écrire entraînait. Il ne connaissait pas son bonheur, ajouta l’administrateur ; le garçon que j’ai pris après lui pour me servir en peut rendre un bon témoignage : plus raisonnable que Fabrice avec moins d’esprit, il ne s’est uniquement appliqué qu’à bien s’acquitter de ses commissions et qu’à me plaire. Aussi l’ai-je poussé comme il le méritait ; il remplit actuellement à l’hôpital deux emplois, dont le moindre est plus que suffisant pour faire subsister un honnête homme chargé d’une grosse famille.


CHAPITRE II

Gil Blas continue son voyage, et arrive heureusement à Oviedo. Dans quel état il retrouve ses parents. Mort de son père ; suites de cette mort.


De Valladolid, nous nous rendîmes en quatre jours à Oviedo, sans avoir fait en chemin aucune mauvaise rencontre, malgré le proverbe qui dit que les voleurs sentent de loin l’argent des voyageurs. Il y aurait eu pourtant un assez beau coup à faire pour eux, et deux habitants seulement d’un souterrain nous auraient sans peine enlevé nos doublons ; car je n’avais pas appris à la cour à devenir brave ; et Bertrand, mon Moco de mulas[1], ne paraissait pas d’humeur à se faire tuer pour défendre la bourse de son maître. Il n’y avait que Scipion qui fût un peu spadassin.

Il était nuit quand nous arrivâmes dans la ville. Nous allâmes loger dans une hôtellerie tout auprès de chez mon oncle le chanoine Gil Perez. J’étais bien aise

  1. Muletier.