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Mon parti est pris ; je veux aller à Oviedo chercher mes parents, et me retirer avec eux auprès de la ville de Valence. Pour toi, mon ami, si tu te repens d’avoir lié ton sort au mien, tu n’as qu’à me le dire ; je suis prêt à te donner la moitié de mes espèces, avec quoi tu demeureras à Madrid, où tu pousseras ta fortune le plus loin qu’il te sera possible.

Comment donc ! reprit mon secrétaire, un peu touché de ces paroles, pouvez-vous me soupçonner d’avoir quelque répugnance à vous suivre dans votre retraite ? Ce soupçon blesse mon zèle et mon attachement. Quoi ! Scipion, ce fidèle serviteur, qui, pour partager vos peines, aurait volontiers passé le reste de ses jours avec vous dans la tour de Ségovie, ne vous accompagnerait qu’à regret dans un séjour qui lui promet mille délices ! Non, monsieur, non, je n’ai pas envie de vous détourner de votre résolution. Il faut que je vous avoue ma malice : lorsque je vous ai conseillé de vous montrer au duc de Lerme, c’est que j’ai été bien aise de vous sonder, pour savoir s’il ne restait point encore en vous quelques semences d’ambition. Eh bien ! puisque vous êtes si détaché des grandeurs, abandonnons donc promptement la cour, pour aller jouir de ces plaisirs innocents et délicieux-dont nous nous formons une si charmante idée.

Nous partîmes en effet bientôt après, tous deux, dans une chaise tirée par deux bonnes mules, conduites par un garçon dont je jugeai à propos d’augmenter ma suite. Nous couchâmes le premier jour à Alcala de Henarès, et le second à Ségovie, d’où, sans m’arrêter à voir le généreux châtelain Tordesillas, je gagnai Penafiel sur le Duero, et le lendemain Valladolid. À la vue de cette dernière ville, je ne pus m’empêcher de pousser un profond soupir. Mon compagnon, qui l’entendit, m’en demanda la cause. Mon enfant, lui dis-je, c’est que j’ai longtemps exercé ici la médecine. Je n’y puis penser tranquillement. Ma conscience m’en fait dans