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pour les honneurs tout le mépris que l’opinion d’une mort prochaine m’en avait fait concevoir ; et, rendu à moi-même, je bénis mon malheur. J’en remerciai le ciel comme d’une grâce particulière qu’il m’avait faite ; et je pris une ferme résolution de ne plus retourner à la cour, quand le duc de Lerme voudrait m’y rappeler. Je me proposai plutôt, si jamais je sortais de prison, d’acheter une chaumière et d’y aller vivre en philosophe.

Mon confident applaudit à mon dessein, et me dit que, pour en hâter l’exécution, il prétendait retourner à Madrid pour y solliciter mon élargissement. Il me vient une idée, ajouta-t-il. Je connais une personne qui pourra vous servir ; c’est la suivante favorite de la nourrice du prince, une fille d’esprit. Je veux la faire agir pour vous auprès de sa maîtresse. Je vais tout tenter pour vous tirer de cette tour, qui n’est toujours qu’une prison, quelque bon traitement qu’on vous y fasse. Tu as raison, lui répondis-je. Va, mon ami, sans perdre de temps, commencer cette négociation. Plût au ciel que nous fussions déjà dans notre retraite !


CHAPITRE IX

Scipion retourne à Madrid. Comment et à quelles conditions il fit mettre Gil Blas en liberté. Où ils allèrent tous deux en sortant de la tour de Ségovie, et quelle conversation ils eurent ensemble.


Scipion partit donc encore pour Madrid ; et moi, en attendant son retour, je m’attachai à la lecture. Tordesillas me fournissait plus de livres que je n’en voulais. Il les empruntait d’un vieux commandeur qui ne savait pas lire, et qui ne laissait pas d’avoir une belle bibliothèque, pour se donner un air de savant. J’aimais surtout les bons ouvrages de morale, parce que j’y